« A chacun sa nouvelle vague » (Jean-Albert Foëx, 1960)

« L’île mythique, l’île scandaleuse, la troisième à l’est de Porquerolles et Port-Cros, si secrètement convoitée », l’Île du Levant « si souvent montrée du rivage », comme la présente encore Jean Rouaud dans Les Champs d’honneur, dut en grande partie sa réputation à la masse d’articles de presse qui dans les années 1950 a construit sa légende.
Comme photographes reporters, Serge De Sazo, Ervin Marton et Robert Charroux ont ainsi largement contribué à faire du Levant une attraction aussi importante « pour la côte d’Azur, que les Folies Bergères et la Tour Eiffel réunies pour Paris» selon l’expression d’un ancien adjoint au maire de Marseille.
De Sazo découvrit le Levant en 1950, envoyé par son agence; et ces premières photographies parurent dans la revue naturiste Vivre en 1951. Pendant environ dix ans il tint ensuite pour La revue naturiste internationale une chronique photographique tant de ses promenades en solitaire – ou presque, puisqu’il fallait bien animer le maquis par quelque nudité, de préférence féminine – que des nuits mouvementées à la Paillotte, aux Arbousiers, et à la Caravelle où pour les soirées à thème, chacun et chacune cherchait à faire le maximum d’impression avec le minimum de vêtement sans être pour autant totalement nu.
En effet, conformément à l’article 330 du code pénal, il était alors au Levant, comme partout ailleurs en France, interdit de se promener tout nu dans les parties publiques d’Heliopolis – certes domaine privé mais ouvert au public. Heliopolis était le nom donné par les docteurs Gaston et André Durville à cette colonie naturiste qu’ils avaient fondée en 1931. « Simple cité rustique » – selon ses concepteurs – le domaine d’Heliopolis était rapidement devenu un véritable village provençal avec sa boulangerie, ses hôtels, son camping, ses restaurants, son épicerie, son bazar, sa papeterie, son école, son bureau de poste, sa mairie annexe et sa chapelle. Alors, dès 1932 on a inventé le « minimum » ; soit officiellement  «un triangle de six pouces, maintenu par des cordons autour de la taille et entre les jambes» comme le décrivaient les visiteurs anglais ébahis ; eux pour qui naturisme se conjuguait avec nudité intégrale. Véritable uniforme levantin, le minimum donna lieu après guerre à des variations infinies: deux ou trois rangs de perles, un simple billet de banque, un triangle en cotte de mailles pour les femmes ou un mini slip à multiples poches, un manchon tenu par une ficelle, un échantillon de grosse toile fixé par des filins verts de fusils sous marins pour les hommes. Sauf quand cette « inutile vêture » comme la qualifiait un membre de l’association naturiste locale était simplement délaissée, en particulier sur le chemin côtier, la plage et les rochers mais aussi dans le patio et sur le solarium de l’hôtel La Brise Marine.

Annie Girardot qui fréquentait l’île depuis toute petite fut surprise de tomber un jour, en « arrivant sur la plage des Pierres-Plates, sur le couple mythique du théâtre français, Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault: Jean-Louis, flamberge au vent, elle toute pimpante, courant dans une eau glacée en riant » et ils parlèrent «théâtre dans le plus simple appareil ». Il ne faudrait cependant pas en conclure que toutes les célébrités du Levant – et elles furent nombreuses – avaient été lauréates de la Comédie française : Rita Renoir danseuse du Crazy Horse que l’on baptisa plus tard la « tragédienne du strip-tease » y entraina ses collègues et amies retrouvant les danseuses du Lido pour un bronzage intégral à peu de frais. Et tout ce monde se mêlait joyeusement au groupe des Belges où autour d’Henri Vernes on inventa le personnage de Bob Morane inspiré par l’un d’eux.
Les photographies de De Sazo plus que d’autres ont su recueillir les rêves de mer de soleil et de liberté de ce bout de Riviera; mais il faut avant tout garder à l’esprit qu’elles ont participé, de façon certes tout à fait instinctive, à l’invention, non sans quelques gaucheries, d’un corps – en particulier féminin – d’un nouveau genre : moderne; avec des anatomies, des postures, des mimiques, des coiffures qui expriment une mutation du désir jamais vue.

Jean Da Silva

univ-paris1.academia.edu/DaSilvaJean